Les réalisateurs d’Intouchables remettent le couvert et s’emparent à présent de l’autisme avec le film Hors-Normes. Notre collectif de personnes autistes, assistant au visionnage de ce film, ne peut s’empêcher d’y voir la représentation des personnes autistes projetée par et pour des personnes neurotypiques.
Après un premier film déjà décrié par les personnes en situation de handicap physique, Olivier Nakache et Eric Tolenado s’incarnent désormais en porte-paroles de la cause de l’autisme. Cette fois, la production a préféré éviter l’écueil du récit tout fictionnel : sans doute émus par l’histoire de l’association, ils dressent un portrait romancé du Silence des Justes, qui accueille des adolescents et adultes autistes sous la mesure d’un placement direct. Des personnages autistes du film sont incarnés par des personnes concernées, et on peut notamment suivre l’évolution de Joseph, jeune autiste oralisant, dont le personnage est inspiré d’un des pionniers de l’associat
“Une vie normale pour eux aussi”
Le slogan affiché par le Silence des Justes semble donner la juste mesure au nom de l’association. Le film associe des métaphores religieuses pour asseoir des représentations symbolisant la charité et la pitié, caractérisant ainsi un modèle religieux et médical du handicap (“par leur “cœur et leur bonté”, par leur “foi”). Il use de ressorts dramaturgiques pour faire la promotion des éducateurs et des professionnels valides, qui semblent tout mettre en œuvre pour permettre à “ces autistes” de “mieux vivre ce que leur offre le monde”, selon les mots des éducateurs et du fondateur Stéphane Benhamou. La fervente passion religieuse permet donc le partage et l’accompagnement de personnes vulnérables, comme l’explicite Moise Assouline, psychiatre de tendance psychodynamique incarné sur le grand écran par une femme psychiatre, et proche du réseau des professionnels psychanalystes de l’autisme.
La personne autiste n’est pas un objet de soin
Malgré une volonté d’inclusion dans les activités ordinaires, et des principes de diversité assumés, la réalité dépeinte dans le film semble davantage d’osciller entre le tout-thérapeutique et l’éducatif, figeant ces jeunes comme des objets de soin, et non comme des sujets de droit. Il semble faux d’affirmer que Hors-Normes veut montrer la réalité des autistes dits “sévères” : ce film illustre une ignorance totale des besoins particuliers des autistes et offre au grand public la vision d’un accompagnement datant des années 70. Nous ne voyons ici ni “sévérité” ni “difficulté naturelle” des personnes autistes enfin vues au cinéma, nous voyons plutôt des personnes autistes qu’on traite avec un regard unidirectionnel et surplombant, en bricolant une fausse inclusion, et sans jamais satisfaire leurs besoins. Il ne suffit pas d’être contre la normalisation (que nous soutenons), ni d’apprendre à être éducateur pour savoir faire avec les autistes. Il faut également faire preuve d’empathie.
Pour certaines personnes autistes, la projection du film fut insoutenable
La contention constitue un dispositif traumatisant pour toute personne autiste connaissant la réalité d’une crise de meltdown. L’absence de moyens de communication alternatifs, le non-respect du consentement, le toucher viriliste incessant et inadapté aux personnes autistes, les stims (auto-stimulations) négatifs régnant de manière gênante dans les appartements et les lieux de vie, la non-accessibilité organisée dans les lieux culturels comme à la patinoire… ; constituent autant de points particulièrement douloureux durant le visionnage. Nous notons également l’état de stress post-traumatique du jeune Valentin qui s’auto-mutile, et que l’on voit laissé par terre sans aucune prise en charge spécifique. Le film et l’objectif de l’association paraissent être construits sur un faux dilemme psychophobe : tout sauf l’hôpital psychiatrique, ne permettant pas de saisir les différents besoins des personnes autistes.
Hors-Normes ne défend ni l’autisme, ni les autistes
Les personnes autistes ne sont que les objets et les personnages secondaires de ce film et de l’association : pendant que les éducateurs s’amusent réellement ou draguent, les personnes autistes ne sont jamais là et sont explicitement réprimées sur les mêmes points, et ce n’est pas la collaboration de l’ESAT Turbulences qui va changer la donne. Les autistes ne semblent être ici que les faire-valoir des éducateurs dont le travail est “gratifiant”. Grâce à ces autistes “complexes”, “ils peuvent bosser partout », comme l’indique le documentaire de l’association et les commentaires des réalisateurs lors de l’avant-première.
C’est en effet le message porté par le documentaire : ingrats que nous sommes, que serions-nous sans ces éducateurs, issus de quartiers difficiles, n’ayant même pas besoin de diplôme officiel ? Il n’y a pas besoin de normes éthiques avec les autistes puisque l’autisme est défini comme une “incapacité d’apprendre” d’après les propos de l’acteur Vincent Cassel dans Quotidien. Il ne s’agit pas de les instruire ni de leur permettre l’accès à des droits égaux, mais simplement d’un “combat” pour les sortir de leur bulle et apporter la diversité aux personnes valides. Une diversité dont les neurotypiques ne pourraient pas profiter sans le travail thérapeutique de ces dévoués valides : voilà une belle inversion de la domination que nous propose une éducatrice.
Hors-normes, mais quand même jamais loin des neurotypiques.