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Lettre aux députés – loi fin de vie une loi contre les plus vulnérables

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Madame, Monsieur les députés,

Militants de l’association CLE Autistes nous vous écrivons ce jour pour attirer votre attention sur les conséquences possibles de la loi sur l’aide à mourir, telle qu’elle est actuellement débattue, et concernant les personnes handicapées.

A l’issue de la convention citoyenne sur la fin de vie, les membres ont estimé que la loi Claeys-Leonetti ne répondait pas à toutes les situations. Le Président Emmanuel Macron a alors décidé de proposer une aide à mourir pour les personnes majeures, capables d’un discernement plein et entier mais affectées d’une maladie incurable, avec des souffrances réfractaires (physiques ou psychologiques), et dont le pronostic vital serait engagé à court ou moyen terme, alors que la législation actuelle est limitée au court terme ; l’Agence Régional de Santé rapportant toutefois récemment qu’il n’existait pas de consensus médical sur la notion de pronostic temporel.

Depuis la loi Handicap de 2005 « Constitue un handicap, (…) toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société, subie dans son environnement par une personne, en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santéinvalidant ». 

L’actuelle proposition de loi qui consiste à élargir l’aide à mourir aux situations de pronostics vitaux engagés à moyen terme, interroge la recevabilitédes demandes susceptibles d’être formulées par les personnes handicapées, par définition atteintes d’altération(s) durable(s) ou définitive(s), et cumulant par ailleurs souvent, des difficultés financières, d’accès aux soins, et sociales.

En tant qu’association militante, nous nous soucions de l’épanouissement au long cours de la vie de nos concitoyens handicapés, et nous déplorons que le projet de loi ait été formulé sans concertation préalable des personnes concernéesdont le nombre oscille entre 5,7 et 18,2 millions (selon les définitions utilisées, enfants compris).

Nous souhaitons contribuer au débat en vous formulant des remarques et commentaires directement issus du vécu des personnes handicapées :

1) Militante et artiste, Karine Brailly était atteinte de la maladie de Charcot et reconnue handicapée. Cette pathologie dégénérative paralyse les muscles et, sans suivi constant, condamne à une mort par asphyxie. Il existe 8 000 patients en France. Faute de personnel soignant et de soins appropriés à son domicile, ce qu’elle a médiatisé y compris par une grève de la faim, elle s’est retrouvée dans l’obligation d’être hospitalisée à l’hôpital Purpan de Toulouse. Trop affaiblie par ses différentes luttes pour survivre, elle a fini par demander une sédation profonde, conformément à la législation. Cette situation dramatique interroge jusqu’à l’obscène les formulations « mourir dans la dignité », « liberté individuelle », et « choix éclairé ». La proposition de loi actuelle n’y répond pas.

Selon les informations disponibles vingt et un départements n’ont pas d’unité de soins palliatifs, et dans le contexte de restriction budgétaire que nous connaissons, plusieurs débats existent au sujet de la fin de l’AME, de la refonte de l’ALD, et d’une augmentation du ticket modérateur. Typiquement nous annoncer une garantie de soins pour tous, et la création des structures manquantes, n’est pas crédible.

2) Au Canada l’aide médicale à mourir (MAID) légalisée en 2016 a élargi son champ d’application : le critère de « mort raisonnablement prévisible » a été supprimé, cela rendant éligible toute personne « atteinte d’une maladie grave et irrémédiable qui cause des souffrances intolérables ». Le nombre de sollicitations de la MAID a bondi de 42%. L’euthanasie au Canada est désormais plus importante que les accidents routiers et représente quasiment 5% des décès. En 2021, les économies réalisées étaient estimées à 86,9 millions de dollars. Ce montant non négligeable nous interpelle sur le choix des économies budgétaires d’un pays, au détriment de la vie même de ses concitoyens, l’aide à mourir y étant devenue une simple démarche de routine.

3) En Belgique et aux Pays-bas, le taux de demandes d’eutnasie des personnes autistes est de 3% ce qui est le double de la prévalence de l’autisme par rapport à la population globale (Kim, 2016). Sur les jeunes adultes agés de moins de 24 ans, candidats pour le suicide assisté et euthanasie pour des raisons de souffrance psychique, sur 353, 12 sont décédés par euthanasie et 9 (75%) étaient autistes (Schweren, 2025). Sur 39 personnes autistes ou avec une déficience intellectuelle décédés par euthanasie, dans un tiers des cas, les médecins ont noté qu’il n’y a pas de perspective d’amélioration de leur autisme et que la déficience intellectuelle n’est pas guérissable. Les médecins ont beaucoup de difficulté à comprendre les perspectives et à évaluer leurs choix  (Tuffrey-Wijne, 2018, 2023). Enfin, parmi les personnes ayant un handicap psychique,  66% à 77% des candidatures à l’euthanasie étaient des femmes (2021). 

En tant que personnes handicapées nous refusons un tel niveau de rejet aux motifs de maladies ou de troubles, par définition subis, et nous refusons toute évolution sociétale qui s’engageait dans cette voie.

Nous demandons une mobilisation et un vote clair contre ce texte.