Le rapport Ruffin-Bonnel constitue une violation massive des principes de la vie autonome et de la convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées, que la France a ratifié en 2010. Les propos de François Ruffin et de Bruno Bonnel reposent également sur une pensée hautement capacitiste et condescendante quant à la capacité mentale des personnes handicapées et âgées.
En juin dernier, les députés François Ruffin (LFI) et Bruno Bonnel (LREM) ont rendu un rapport parlementaire sur les « métiers du lien ». Les « métiers du lien » regroupent les métiers dits du lien social ainsi que les emplois à domicile comme les assistants de vie, les accompagnants scolaires (AESH) et maternelles, les auxiliaires de vie ou les assistants personnels aux enfants, aux personnes âgées et handicapées.
Le rapport part d’une bonne intention : il a pour but d’améliorer les conditions de travail des salariés à domicile, de favoriser leur formation et d’augmenter leur salaire. Il préconise notamment d’augmenter la capacité financière des conseils départementaux pour financer l’aide à domicile, d’améliorer l’offre et d’augmenter les salaires. Il s’agit d’une bonne solution vis-à-vis de cette problématique.
Cependant, si nous partageons ces constats, nous refusons le fait de privilégier l’emploi à domicile des prestataires associatifs, à but non lucratif, sous prétexte qu’ils représenteraient la meilleure solution.
En effet, ce rapport idéalise les prestataires associatifs à domicile qui mènent souvent une politique managériale déshumanisante au même titre que les prestataires privés. Les prestations ne permettent pas un réel lien social. Au contraire, pour des raisons économiques et managériales, les prestataires sont incités à ne pas être trop proches des personnes dont ils s’occupent.
Contrairement à ce que peut dire M. Ruffin, les salaires de ces prestataires sont souvent plus bas (13% selon l’association Toupi). En outre, ces prestataires ne sont pas toujours fiables (absentéisme, non remplacement en cas de problèmes, heures non pourvues etc…) et peuvent être maltraitants vis-à-vis des personnes dont ils s’occupent. De plus, la majorité des salariés de prestataires à domicile sont des femmes blanches ou racisées, ainsi les personnes handicapées participent malgré elles à la perpétuation d’un système raciste et patriarcal.
Si nous voulons accompagner les personnes autistes ayant des besoins importants en aide humaine, pour qu’elles puissent vivre, se sentir en sécurité avec des personnes qu’elles connaissent, participer à des activités qu’elles ont choisies, nous ne pouvons que rejeter ce rapport qui se dresse contre les principes mêmes de la vie autonome et des revendications d’émancipation des personnes handicapées.
La prestation de compensation du handicap (PCH) permet de financer ces aides à domicile, elle peut également servir à financer l’emploi direct ou mandataire, c’est-à-dire couvrir les frais liés à l’embauche de ses propres salariés. La somme versée permet le plus souvent de mieux payer les salariés voire d’aller au-delà du tarif fixé en valorisant les compétences propres à la personne embauchée. Cela permet également de mieux adapter les prestations suivant les besoins individuels de la personne. Ce mode contractuel favorise une relation d’interdépendance plus égalitaire entre les deux parties.
Les principes fondateurs du mouvement de la vie autonome sont :
-L’évaluation personnalisée des besoins (en nombre d’heures)
-La formation par et pour les personnes handicapées de leurs salariés
-Le choix de leurs aides.
Le mouvement de la vie autonome considère que les personnes handicapées doivent pouvoir choisir leur rythme de vie, leurs aides humaines et leur type d’accompagnement (par elles-mêmes ou avec l’aide de leurs proches ou de leurs pairs). Ce mouvement a été porté par les luttes des personnes handicapées dans de nombreux pays occidentaux des années 70 aux années 90 afin d’obtenir l’accès à l’assistance personnelle et l’emploi direct des salariés.
L’assistance personnelle se définit comme une relation de travail qui permet à la personne handicapée de choisir ses salariés et ses aides humaines selon ses conditions, quel que soit son degré d’incapacité. C’est également le mouvement défendu par la Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées.
Les propositions du rapport bafouent donc ces principes et se réfèrent à une vision condescendante et incapacitante des personnes handicapées. Ces personnes sont souvent classées dans la catégorie des personnes “vulnérables” ou “fragiles”, catégories que reprennent François Ruffin et Bruno Bonnel pour justifier leurs propositions.
Or, d’une part, la fragilité n’est pas une évidence, que ce soit en fonction de l’âge ou du handicap. Il y a une grande variabilité suivant les individus. D’autre part, la fragilité est en grande partie construite par un environnement qui tend à rendre ces personnes dépendantes, et par les exigences implicites que demande la société quant aux capacités à exprimer ses besoins et ses demandes (langage oral, discours structuré et argumenté, discours politique et rationnel). Les personnes en dehors de ce schéma capacitiste sont d’office rangées dans la catégorie “vulnérables”, et soumises à une infantilisation accrue, à la loi de protection des personnes majeures (privation de capacité juridique) et à des présomptions d’incompétence en matière de capacités mentales.
Pour les députés François Ruffin et Bruno Bonnel, cette notion de capacité mentale n’est pas questionnée. Elle n’est ni politique, ni construite socialement par les conditions matérielles. Pour ces députés, il est donc justifié de ne pas favoriser un emploi direct permettant à la personne handicapée ou âgée de contrôler/maîtriser son accompagnement et sa vie.
Dernièrement, le Sénat veut également financer la PCH uniquement pour certains services, et non pour l’emploi direct. Cela rejoint l’esprit capacitiste et condescendant du rapport Ruffin qui nous dit que nous n’avons pas notre place comme employeurs de nos assistants de vie puisque nous sommes incapables.
La Suède, le Danemark et le Canada ont, depuis plusieurs décennies, déjà fait le choix politique de soutenir la vie autonome. Le retard de la France étant manifeste, les préconisations du rapport Ruffin-Bonnel, en perpétuant une vision capacitiste des personnes handicapées, continueront à creuser le fossé existant entre nous et le reste de l’Europe qui défend effectivement la convention de l’ONU au droit des personnes handicapées.
Contrairement à MM. Ruffin et Bonnel, CLE-Autistes considère que les personnes handicapées elles-mêmes sont les premières légitimes à définir leurs conditions d’existence (et non pas les soignants et/ou les entreprises prestataires), et toute politique sociale et/ou médicale les concernant devrait suivre ce principe : “Rien sur nous sans nous”.
Pour plus d’informations, contactez contact@cle-autistes.fr
CLE Autistes est une association dirigée par et pour les autistes. Elle défend leurs droits, organise la solidarité entre autistes, lutte contre les discriminations qu’ils subissent. CLE Autistes apporte un nouveau paradigme dans l’autisme en y transposant les droits du handicap et en redéfinissant l’autisme selon le paradigme de la neurodiversité. Nous souhaitons uniquement que les autistes puissent vivre dans un monde sans discriminations, en ayant les mêmes droits et accès aux mêmes opportunités à égalité avec les personnes neurotypiques. Nous travaillons à ce que les autistes reprennent le contrôle de leur vie, quels que soient leurs capacités, afin de s’auto-organiser sans l’avis de leurs familles ou des professionnels de santé. Jamais rien pour Nous, sans Nous!