Dans le contexte actuel d’épidémie de Covid-19, le gouvernement annonçait, le 16 mars 2020, les mesures prises afin de protéger les personnes en situation de handicap.
Pour les personnes handicapées vivant en domicile indépendant, le maintien des services minimums, fournis par les établissements et services médico-sociaux, est préconisé. Cette mesure concerne aussi les personnes précédemment accueillies en journée.
En ce qui concerne les personnes accueillies à temps complet, comme en institut médico-éducatif (IME), en foyer d’accueil médicalisé (FAM/MAS), ou encore en EHPAD (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes), certaines mesures prises par le gouvernement inquiètent aujourd’hui notre collectif : l’interdiction formelle des sorties collectives et individuelles (sauf pour nécessité médicale), et l’interdiction des visites au sein de ces structures.
Ces mesures concernent également les personnes hospitalisées en service de psychiatrie. Nous avons déjà été alertés à propos de l’interruption des visites du juge des libertés et des avocats en ce qui concerne les soins sous contrainte. Cela compromet le respect des droits des personnes psychiatrisées, et nous fait redouter une interruption de prise en charge de la part de l’Agence régionale de santé pour la plupart des modes de placement.
L’interdiction des visites est illégal et arbitraire
L’interdiction pur et simple des visites et des sorties, concernant les personnes institutionnalisées, est une décision arbitraire du gouvernement qui viole les Conventions des droits de l’homme. Nous tenons à rappeler que même en temps de guerre, les personnes restent égales face à la loi : c’est un droit non-dérogeable consacré dans l’article 16 du Pacte de l’ONU des Droits Civiques et Politiques (1966). Nous ne sommes, aujourd’hui, ni en état de guerre, ni en état d’urgence déclaré. Les droits fondamentaux s’appliquent encore à chacun.
Confronté aux mesures prises par les différents gouvernements, le comité d’experts de l’ONU rappelle, dans deux communiqués, que les mesures d’urgence ne doivent pas aller à l’encontre des droits humains. En cas de crise humanitaire, la Convention ONU des droits des personnes handicapées (CRDPH) stipule que la survie des personnes en situation de handicap doit être privilégiée par les gouvernements.
Un non-consentement collectif au confinement
Les personnes institutionnalisées, autistes ou neurodivergentes, en France, sont trop souvent privées de leur capacité juridique lorsqu’il s’agit du recours institutionnel, et le maintien en institution chronicise cet écart aux libertés individuelles. Il semble raisonnable de penser que ces personnes n’ont été, à aucun moment, consultées en ce qui concerne leurs droits de recevoir des visites, et n’ont pas pu exprimer de choix en ce qui concerne les modalités de confinement. L’ONU rappelle, à ce titre, que la consultation des personnes concernées est obligatoire pour décider de solutions adaptées.
Pour ces personnes contraintes à un confinement collectif, il est probable que les conditions de vie sous quarantaine ne soit pas adaptées à leurs spécificités, et nous redoutons que les informations nécessaires à la compréhension des événements actuels ne soient pas communiquées. Nous nous inquiétons des dérives, abus et maltraitances que ces décisions peuvent entraîner.
Des risques sur la santé mentale et d’un huit-clos sans contrôle
Si la vie en quarantaine peut avoir des conséquences psychologiques importantes pour tout le monde, elles peuvent s’avérer beaucoup plus graves pour les personnes autistes et neurodivergentes : colère, anxiété et dépression sont à redouter . En ce qui concerne les personnes non-oralisantes, en particulier, nous craignons que ces manifestations de frustration et de colères soient réprimées par la contention, l’enfermement, ou la sédation ; nous nous inquiétons aussi des répercussions que ces mesures pourront avoir en termes de stress post-traumatique.
Contrairement aux personnes qui résident dans ces établissements, les personnels qui y travaillent sont libres de circuler et représentent potentiellement un danger pour les personnes vulnérables, verrouillées dans l’institution, où les conditions de confinement ne permettent pas de respecter les gestes barrières. Plusieurs EHPAD ont déjà témoigné de contaminations massives.
Les mesures de confinement ne peuvent discriminer des groupes de personnes. De plus, la situation semble hétérogène entre les différents établissements, conséquence de l’absence de consignes communes. Les sortie sont désormais restreintes aux parcs intérieurs des institutions (pour celles qui en disposent), et sous contrôle de celles-ci. Certains établissements médico-sociaux usent du prétexte de nécessité médicale au titre de dérogation à se déplacer. Pour les personnes autistes et neurodivergentes, ces sorties sont parfois de la plus haute nécessité pour le maintien de leur santé psychique. Or, seuls les nécessités médicales relevant de la sphère somatique semblent être entendues et comprises dans les dispositions prises pour permettre les sorties individuelles pour motif de santé. Le pire du système capacitiste se retrouve ici exacerbé.
Nous avons relevé et exposé plusieurs cas de maltraitances ayant lieu dans des institutions. Notre collectif est particulièrement inquiet à l’idée que des personnes sous contrainte institutionnelle soient livrées au pouvoir de ces personnels. L’interdiction des visites et l’absence de moyens de communication alternatifs pour les personnes pas ou peu oralisantes laissent à craindre un réel huis clos pour les victimes de maltraitances institutionnelles, à qui le choix du retour à domicile n’a pas même été proposé.
Prisons, Centres de rétention, même combat
Dans les prisons et dans les lieux de rétention pour les personnes migrantes, des mesures similaires ont été prises à l’encontre des personnes incarcérées. Les visites en parloir de la part des proches et des avocats ont été suspendues, conduisant à une privation de droit à la défense et à une entrave aux liens familiaux. Dans un contexte de surpopulation carcérale, le contrôleur général des lieux de privations de liberté, de même qu’un collectif de chercheurs, a demandé la libération des personnes en courte peine, ou en fin de peine.
Un triage des patients en réanimation fondé sur leur acceptabilité/utilité
Nous exprimons notre plus vive inquiétude en ce qui concerne les choix de survie, liés à la saturation des services de réanimation, au plus fort de l’épidémie. Les personnes en situation de handicap n’ont pas le même accès aux soins de santé, de même qu’elles sont les premières impactées par l’absence de précautions prises par les personnes valides. Toutefois, elles ne seront pas prioritaires en cas d’hospitalisation aux urgences liée au Covid-19. Des équipes ont d’ors et déjà défini les critères de morts acceptables et inacceptables : certaines vies sembleraient avoir plus de valeur que d’autres. En Espagne, un patient trisomique n’a pas été intubé.
Un manque d’accessibilité et de soutien en pleine crise
La rapportrice de l’ONU souligne également le manque d’accessibilité des mesures de protection et d’information sur le coronavirus, en contradiction avec l’article 9 de la Convention. Tous les supports (visuel, textuel, audio…) doivent être utilisés pour informer correctement toutes les personnes handicapées. Les informations relatives aux mesures gouvernementales, de même que l’attestation de confinement proposée sur le site du Ministère de l’Intérieur, n’étaient pas accessible en PDF pour les lecteurs audio, ni en FALC. Des associations ont dû l’adapter. Est-ce bien notre rôle?
Quant aux personnes handicapées vivant en logement autonome, la Secrétaire d’Etat Sophie Cluzel s’est contentée de paroles incantatoires en matière de soutien à domicile , appelant à l’entraide entre voisins! Plusieurs prestataires de soutien à domicile ont supprimé des aides essentielles de la vie courante sans alternatives. Les parents d’enfants handicapés, eux, attendent toujours la continuité du maintien de l’accompagnement.
#LibererLesAutistes : des mesures sanitaires proportionnées aux droits civiques
Les personnes en situation de handicap sont des sujets de droits, non des objets de soin. La crise sanitaire actuelle lève le voile sur la cruauté ségrégationniste instituée en France. Les personnes vulnérables ne sont plus une priorité du quinquennat en situation d’épidémie : cela va à l’encontre des droits humains les plus fondamentaux.
Nous demandons au gouvernement, au Ministère de la Santé, à la Secrétaire d’État au handicap, le respect des droits humains pour les personnes institutionnalisées et confinées à domicile. Nous réclamons :
- Une consigne claire et commune pour un droit de sortir, en respectant les mesures de sécurité liées à la propagation du virus, égal pour toutes et tous. Les autorisations de sortie, sur dérogation et avec un accompagnant, ne peuvent se limiter aux terrains des institutions (cf Espagne).
- Une réduction de la densité en établissements, en autorisant les retours au domicile. Les personnes institutionnalisées doivent disposer du choix de leur lieu de confinement.
- Le déploiement de moyens de communications adaptés (visioconférences) pour maintenir le contact à distance et permettre aux proches d’apporter leur soutien.
- Le déploiement d’un service d’urgence d’assistance personnelle sécurisé et accessible pour les personnes handicapées confinées à leur domicile.
- Le téléphone doit être autorisé en établissements psychiatriques, et le contact avec les juges de liberté et avocats maintenus par communications téléphoniques.
Une pétition a été lancée