Ces rappels concernent les tensions et les débats qui ont eu lieu sur les réseaux sociaux en 2022 et qui ont eu des répercussions en interne à CLE Autistes. L’association a également rencontré des problèmes de gestion qui ont aggravé ces tensions. Ceci est une présentation générale de l’histoire des militantismes autistes, qui n’englobe pas l’ensemble des réalités et des enjeux liés à l’anti-validisme.
Lire le résumé en langage simplifié
Les personnes autistes ont du mal à s’exprimer car leurs opinions sont souvent rejetées par des groupes d’influence qui monopolisent la communication sur et autour de l’autisme. La plupart des associations qui prétendent nous représenter sont en réalité composées principalement de parents et de professionnels. Lorsque des personnes autistes sont présentes, elles sont souvent ignorées ou leur parole est contrôlée par d’autres. En outre, notre existence est souvent niée en raison de la responsabilité morale et environnementale qu’on attribue à notre spécificité, telle que celle de la famille, de la mère, des vaccins, des médicaments ou de la pollution. Les personnes autistes font face à des formes de répression et de dénigrement quant à leurs façons de vivre et de percevoir le monde. Certains parents et professionnels leur interdisent de socialiser avec d’autres autistes et les institutions tentent de supprimer leurs intérêts spécifiques et leurs stéréotypies. Ces problèmes identitaires et interpersonnels sont aggravés par les inégalités sociales et les difficultés d’accès aux droits et à l’autonomie dans nos sociétés. Ces inégalités sont renforcées par la classe sociale, le genre, la race, la sexualité et d’autres handicaps. Cependant, il existe également des inégalités de capacités sur l’autisme qui peuvent compliquer cette approche.
En France, la plupart des personnes autistes sont institutionnalisées et exclues de l’école après six ans [1], tandis que l’autre partie vit principalement dans la pauvreté et est éloignée de l’emploi stable [2]. Le handicap est souvent considéré de manière médicale, avec une focalisation sur la “guérison” ou la réhabilitation individuelle. En France, les associations gestionnaires de services pour personnes handicapées ont une influence importante sur la façon dont le handicap est géré, et sont considérées comme des militant-e-s pour le handicap par les pouvoirs publics.
Ce conflit d’intérêt a été dénoncé par les dernières recommandations de l’ONU en 2021, auxquelles nous avons participé.
La prédominance de ces associations rend difficile l’expression des personnes handicapées par elles-mêmes [3], en particulier celles dont le handicap affecte leur capacité d’expression et de réflexion. Les Groupes d’Entraide Mutuelle pour le handicap psychique ont douté des GEM pour autistes au motif que les autistes n’auraient pas de capacité d’entraide et de socialisation [4]. Les associations d’autistes doivent souvent travailler avec les parents, les professionnels et les pouvoirs publics pour être entendues, ce qui empêche toute réflexion contestataire. Cette auto-représentation se résume souvent à la fourniture de témoignages individuels pour soutenir le système d’accompagnement ou de soin, et a perdu son sens politique. De plus, certaines associations auto-représentées sont hébergées et financées par les associations gestionnaires, ce qui limite leur indépendance et leur capacité à contester le système [5].
La seconde difficulté est l’opposition française au communautarisme qui rend difficile l’expression des particularismes, y compris celle d’un mouvement militant pour la défense d’une communauté politique autiste [3]. Cette approche universaliste française imprègne également le militantisme de gauche en France, qui se concentre exclusivement sur une approche constructiviste des oppressions (selon laquelle “les phénomènes descriptibles dans le monde, qu’ils soient réputés ordinairement sociaux ou naturels, n’existent pas antérieurement et extérieurement au travail accompli pour les catégoriser” [6]) et centrée sur le travail d’acquisition et de manipulation des outils théoriques, ce qui rend difficile le dialogue et les alliances même avec des alliés “naturels”.
Enfin, la troisième difficulté est la prédominance de la psychanalyse dans les domaines de la psychologie, de l’éducation, de la justice ou du travail social qui réduit la possibilité de s’identifier à l’autisme, en raison de critères très restrictifs, définis dans les années 50 [7][8]. Cela conduit à une interprétation majoritairement psychologique et traumatique de toute particularité comportementale, tentant d’y établir une causalité qui est inadaptée pour de nombreux handicaps non-physiques et développementaux et ne tient pas compte de leur voix et de leur expérience.
Dans ce contexte, l’histoire des associations autistes françaises diffère de celles des associations autistes internationales, constituées en mouvement social, qui ont remis en cause les normes du modèle médical de l’autisme et se sont inspirés des mouvements pour la vie autonome, de l’auto-représentation et des survivants de la psychiatrie “Mad Pride” pour concevoir leur propre mouvement : celui de la neurodiversité [9].
Le militantisme autiste vise à sortir l’autisme de son référentiel pathologique et familial en transposant le modèle social du handicap à l’autisme. Cela permet d’ouvrir un espace inclusif de réflexion et de lutte pour toutes les personnes s’identifiant au concept de neurodiversité.
En France, pour les personnes autistes, l’auto-représentation et la gestion d’associations pour défendre leurs droits sont de fait une action politique forte dans un contexte où notre société et les rapports de dominance envers d’autres personnes handicapées nient cette capacité. Dans le sens anglophone “self-advocacy”, cette auto-représentation est évidemment liée au développement de l’action politique, dans une perspective d’empouvoirement et d’auto-défense individuelle et collective contre les injustices subies.
L’association CLE Autistes a adopté une vision politique de l’autisme qui remet en question le modèle médical de l’autisme présent dans divers domaines, tels que la psychiatrie, la psychologie, l’éducation spécialisée et la médecine [10] . Cette vision politique, inspirée du mouvement anglophone, vise à élargir le mouvement anti-validiste pour inclure le handicap dit mental et former les autistes à défendre leurs droits. Le militantisme autiste international s’attaque aux normes scientifiques et culturelles ainsi qu’à toutes les barrières à l’autonomie et à l’accès aux droits, dont la psychiatrie est une actrice parmi d’autres.
Plusieurs points découlent de cette historicité du militantisme des personnes autistes, notamment :
- Le rapport parfois conflictuel des autistes au groupe social des psychiatrisés et des fols*.
- L’élaboration d’un militantisme anti-validiste et adapté aux autistes.
- La prise en compte des autres formes d’oppression en interne et dans notre lutte (violences intra-communautaires).
Il n’existe pas de réponses définitives à ces enjeux, et cela nécessite une réflexion et des débats plus larges. Il serait erroné de réduire la lutte des autistes à une lutte centrée sur le diagnostic médical, sans considérer leur histoire, leurs revendications et les personnes qui ont mené cette lutte.
Les autistes et les fols
Bien que les autistes soient perçu-e-s et identifié-e-s comme fols (défini comme l’irrespect à des règles sociales établies et l’incapacité à se comporter comme les autres [11]), cela ne signifie pas qu’iels sont pertinent-e-s en collectif à s’exprimer politiquement comme fols et au nom du militantisme fol [12].
Les militant-e-s anti-validistes autistes s’identifient à l’autisme en tant que classe pertinente pour elleux-mêmes, mais ne sont pas d’accord avec la définition de la psychiatrie. Iels ont choisi de résister à ce modèle du déficit en opposant leur propre expérience de l’autisme à sa définition médicale. La psychiatrie nous nomme, mais cela ne veut pas dire que notre expérience n’a pas de base matérielle. La classification peut être utilisée comme un moyen de résistance pour tout changer [13].
Pour l’association, le diagnostic, redéfini de façon individuelle et communautaire, est un outil pragmatique pour le changement et non un objectif final de son combat militant. Il s’agit d’abord de trouver une communauté identifiable pour sortir de notre isolement social, et non pour recréer des barrières artificielles entre les expériences. Cette identification sociale sert ensuite politiquement à un but d’empouvoirement afin de produire des revendications plus larges : le droit d’être soi, l’autodétermination totale de sa personne et de son autonomie corporelle. Pour, à la fin, identifier des adelphes avec des signifiants partagés en dehors de l’interprétation psychiatrique.
Cette approche ne convient pas forcément à toutes les personnes autistes, mais elle permet de redéfinir l’autisme politiquement en incluant davantage de personnes qui s’y reconnaissent. Plus largement, les autistes ne subissent pas que l’oppression de la psychiatrie ou des modèles qui en dérivent. L’oppression qu’iels subissent est liée à un ensemble de normes et de pratiques historiques sur ce que devrait être le développement typique d’un être humain en termes d’intelligence, de socialisation, de façon d’être et d’expérience du monde à l’intersection du validisme et du sanisme**, ainsi que par le capitalisme, le cis-sexisme*** et le racisme.
Malgré les deux versants extrêmes de l’autisme qui sont souvent présentés dans les médias (entre autistes non-oralisant et autistes performant-e-s, notamment dans un domaine intellectuel ou artistique valorisé socialement), il est important de se rappeler que la plupart des autistes se situent entre les deux.
La suppression de la psychiatrie et du capitalisme pourrait aider, mais ne résoudrait pas les problèmes de la majorité des autistes qui sont souvent isolé-e-s quelle que soit leur classe sociale, étant confrontés à des barrières spécifiques à l’autonomie et de communication dans leur propre communauté.
C’est pourquoi l’association doit tenir compte des situations concrètes de son public, dont les membres sont pour la plupart confronté-e-s à des difficultés relationnelles et à un isolement intense.
Il est crucial de fournir un espace de communauté et de lutte sanctuarisé qui respecte les spécificités autistiques, afin de permettre aux personnes de réfléchir et de partager entre elles. Cet espace sécurisé doit s’adresser évidemment à toutes les personnes autistes, avec ou sans diagnostic, avec plusieurs identités sociales ou non. Il est important de le protéger au mieux de toute violence systémique.
Pour être inclusif, celui-ci ne peut pas non plus exister seulement en ligne, les espaces en ligne sont majoritairement utilisés par des personnes blanches et favorisées. CLEA a décidé de développer des cellules locales autonomes depuis 2021 et continue en 2023.
Un militantisme anti-validiste et adapté aux autistes.
Le deuxième point interroge les exigences d’une forme d’un militantisme anti-validiste adaptée aux personnes autistes, en prenant en compte la diversité de leurs capacités (intellectuelles, cognitives, émotionnelles…), de leurs parcours et en portant une attention particulière aux plus touchées. Ces dernières sont aussi celles dont les capacités sont le plus fortement opprimées et ne peuvent pas suivre des normes sociales.
Cela implique pour chacun-e de se sensibiliser aux enjeux de vécus différents des nôtres, de mieux connaître les gens au-delà du virtuel avant tout jugement et de s’ajuster à celleux qui ont besoin du plus de calme, de lenteur et de modes d’interaction atypiques pour pouvoir participer.
Tout ceci peut être difficile des deux côtés quand on est aux prises avec nos propres difficultés et nos traumatismes. Cela demande du temps et des efforts mutuels de compréhension.
Mais certaines pratiques militantes anti-validistes, situées dans leur propre urgence, ne tiennent pas toujours compte des besoins et des limites des personnes en termes de fonctionnement, en privilégiant de façon parfois rigide un cadre théorique certes propice à l’action directe, mais qui va à l’encontre de l’idée de soutenir mutuellement nos efforts et nos capacités en terme de militantisme, même imparfaites, qui est au coeur de la définition de l’auto-représentation.
Nous invitons les autres associations et militant-e-s anti-validistes à réfléchir à ce qu’une organisation ou un groupe actif sur l’anti-validisme devrait être en termes de pratiques entre ses membres avant même de développer un discours ou des revendications.
Notre lutte et les autres oppressions
Le troisième point est la prise en compte et la lutte contre toute oppression au sein de l’anti-validisme et en interne.
Historiquement, CLE Autistes s’était démarquée des autres associations d’autistes dans cette prise en compte de toute violence systémique. Elle souhaite continuer à se remettre en question à partir des retours explicites des membres adhérent-e-s et des usager-e-s concerné-e-s.
Ce qu’a fait l’association :
- Le soutien aux espaces non mixtes afin que les personnes concernées puissent élaborer leurs propres actions.
- Des formations et des espaces de partage d’informations pour se former à différents enjeux et oppressions.
- Des espaces de discussions collectives pour les mandats de porte-parolat et la gestion des réseaux sociaux.
- Une commission d’intersectionnalité pour former les membres aux différents enjeux et vécus et recadrer tout propos discriminant en interne.
- Développement d’actions sociales et d’entraide distinctes de l’action politique.
- Mise en place de pratiques d’organisation collective afin de créer des alliances sur nos objectifs communs avec les autres communautés et luttes.
Ce que l’association compte faire :
- Une réunion visant à mieux définir nos positions communes en prenant en compte les différents vécus et expériences des membres.
- Un soutien pour aider à prendre des responsabilités et des initiatives de leadership.
- Un événement pour aborder les enjeux liés à l’autisme, la folie et la souffrance psychique.
- Créer un groupe de travail pour approfondir de manière inclusive la définition et l’expérience de l’autisme à partir du point de vue des plus touchés.
- Développer des financements pour soutenir le travail de formation, produire des ressources accessibles (FALC, audio) pour former notre communauté à différents enjeux.
Références :
* Fol est le neutre de fou/folle.
** le sanisme est l’oppression des fols et psychiatrisé-e-s
*** Le cis-sexisme est l’oppression qui considère que toutes les personnes sont de leur genre assigné, en considérant que les personnes trans sont inférieures aux personnes cis
[1] « Mon fils, c’est ma petite entreprise ! ». Les parcours des enfants autistes entre carence de soins et inégalités sociales en Seine-Saint-Denis – Brigitte Chamak https://shs.hal.science/halshs-01937846/document
[2] Tableau de la condition sociale des autistes en France : en résumé, c’est la merde. Partie 1, 2, 3 https://sylphelinetoujoursdanslaluneoudanslesnuageswordpre.wordpress.com/2017/12/11/tableau-de-la-condition-sociale-des-autistes-en-france-en-resume-cest-la-merde-partie-1-autisme-et-mortalite/
[3] Autisme, handicap et mouvements sociaux – Brigitte Chamak https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1875067210000234#bib25
[4] Position du Collectif national des GEM à propos des GEM autisme ” Dans l’idée d’entraide mutuelle, il y a « entre » et « mutuelle ». Si l’on se doit de parier sur la capacité, sinon la potentialité, de la perception de ces catégories (moi et l’autre, soi et autrui) chez chacun, les modalités pour les faire advenir ou les tenir quand elles sont en panne ou disparues ne relèvent pas forcément des GEM.” https://www.cnigem.fr/le-cahier-des-charges-2019-des-groupes-dentraide-mutuelle-quoi-de-neuf-le-point-de-vue-du-cnigem/
[5] L’association française auto-représentée de personnes handicapées intellectuelles est hébergée et financée par l’association gestionnaire UNAPEI : https://nous-aussi.fr/posts/nous-contacter
[6] Peut-on ne pas être constructiviste ? Cyril Lemieux, Politix 2012/4 (n° 100), pages 169 à 187 https://www.cairn.info/revue-politix-2012-4-page-169.htm
[7] Psychoanalysis in the treatment of autism: why is France a cultural outlier? Bishop et Swenden https://www.cambridge.org/core/journals/bjpsych-bulletin/article/psychoanalysis-in-the-treatment-of-autism-why-is-france-a-cultural-outlier/CE2BC0EF4ACBB22808D62866A9AD9226
[8] Le militantisme des associations d’usagers et de familles : l’exemple de l’autisme – Brigitte Chamak https://www.cairn.info/revue-sud-nord-2010-1-page-71.htm
[9] Autisme et militantisme : de la maladie à la différence – Brigitte Chamak https://journals.openedition.org/quaderni/268
[10] Autisme : « Nous sommes des sujets de droit et non des objets de soin », CLE Autistes https://basta.media/Autisme-handicap-soins-services-publics-proximite
[11] La folie est une construction sociale – Kaina Djaé DeepTalk https://commedesfous.com/la-folie-est-une-construction-sociale/
[12] Et si les autistes étaient des fols comme les autres ? Dandélion https://mxdandelion.medium.com/et-si-les-autistes-%C3%A9taient-des-fols-comme-les-autres-4cb614f5a090
[13] L’effet de boucle des classifications “looping effect” – Ian Hacking https://www.college-de-france.fr/media/ian-hacking/UPL6120975782849689510_Hacking2004_2005.pdf