Laurent Danon Boileau. Moi, si l'enfant ne fait rien de toute la séance, et que je somnole à coté de lui, ça m'est égal. Je suis habitué à ça dans mon travail de psychanalyse.

CLE Autistes, Maleval et la psychanalyse

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Cet article fait suite à la passe d’armes entre le collectif et le psychanalyste Maleval qui nous a répondu à plusieurs reprises suite à notre article de réponse. Nous condamnons au passage les séminaires de son association et nous demandons aux autorités de sévir sur les financements et de renforcer les évaluations des formations en psychologie à l’université

L’autisme est à la mode. Si vous parcourez Internet, vous remarquerez une multiplication de sites informatifs, sur les causes, le pourquoi, le comment.

En creusant un peu plus vous verrez une guerre réelle entre les différents professionnels de santé sur la question de l’autisme et sur les meilleures méthodes selon eux pour régler le problème.

Car oui, nous en sommes encore là. A considérer l’autisme comme un problème. Nous développerons ce point.

Si vous progressez encore dans la toile vous arriverez peut-être à voir l’expression de personnes autistes. Je dis bien peut être car rarement l’effort est fait pour nous écouter.

Mais revenons d’abord au premier point, les professionnels de santé, car un site a particulièrement retenu mon attention. Pour quelle raison ?

Parce qu’il représente, pour de multiples raisons que nous allons développer, le paroxysme de ce qui n’est plus acceptable en France au XXIe siècle.

Ce site se nomme autistes et cliniciens.

Rattaché au « collectif des praticiens auprès des autistes » avec pour directeur de publication Monsieur Maleval il est constitué d’une somme d’articles faisant la promotion de la psychanalyse contre toute autre méthode. Nul besoin de présenter Monsieur Maleval réputé pour ses théories d’un autre temps et coupable d’un entrisme au sein de Clé Autistes il y a quelques semaines.

Analysons d’abord l’intitulé du collectif : Collectif de praticiens auprès d’autistes.

Que suggère t-il ?

  • Tout d’abord que ce sont les praticiens qui sont mis en avant et qu’ils seraient donc les acteurs principaux de ce sujet. Nous sommes ravis de constater que nous ne sommes pas les acteurs principaux de notre propre condition.
  • Le terme « auprès ». Ils seraient en quelque sorte à notre chevet. D’une certaine manière cela induit que nous aurions besoin de la présence permanente de praticiens, de soin et qu’ils nous sont par conséquent indispensables.

Ce collectif constitué de psychanalystes est donc à l’origine du site cité auparavant qui se donne pour mission de donner la parole aux personnes autistes.

Plusieurs problèmes graves et révélateurs de fondements discutables sont à constater.

Tout d’abord la parole devrait nous être donnée. Non. La parole nous l’avons. Nous la prenons.

Elle n’est pas conditionnée à une permission qui nous serait faite de nous exprimer. Cette époque est révolue et le droit constitutionnel que nous possédons tous à disposer de nous-mêmes et à nous exprimer garantit de fait de n’avoir besoin de personne pour cela.

Notre autonomie de principe est donc totale.

Nous ne sommes pas assujettis à la seule condition du soin. Penser que nous avons besoin d’un collectif de cliniciens pour nous donner la parole et pour nous accompagner induit que la seule question du soin définit notre condition. Ce n’est pas le cas. Et si cela devait être le cas il en serait de notre responsabilité et de notre droit de l’exprimer.

Nos priorités demeurent d’impulser des changements de paradigmes profonds dans la société afin qu’elle reconnaisse la neurodiversité sous toutes ses formes, pour permettre l’adaptation sociale et l’intégration de chaque citoyen, chaque personne dans l’espace public, dans le monde du travail, et dans chaque strate sociale ou culturelle.

Penser l’autisme par le biais du soin, de l’institutionnalisation, c’est amplifier les erreurs commises depuis des décennies à cause d’un prisme dénué de pertinence à des fins d’uniformisation dont il n’est même pas besoin d’être une personne autiste pour en souffrir.

C’est considérer l’autisme comme un problème à solutionner. Ce n’est pas le cas.

C’est instiller la croyance que la norme est l’objectif à atteindre pour toute personne désireuse de s’intégrer. Ce raisonnement est erroné.

C’est constater l’autisme comme un handicap, or l’autisme n’est un handicap que vis à vis d’une norme validiste tendant précisément à uniformiser les comportements, et les modes de l’être.

Finalement c’est définitivement conclure sur une totalité psychologique de la personne autiste en lui ôtant toute ontologie.

Ce ne serait pas plus dramatique que d’autres sites ou d’autres collectifs s’il ne s’ajoutait pas aux remarques préalablement décrites que ce site est créé par des psychanalystes.

Or il ne sera jamais inutile de rappeler que la psychanalyse a été jugée inapte concernant l’autisme par l’INSERM.

Que la psychanalyse n’a eu de cesse de multiplier les erreurs quant à une explication cohérente du trouble du spectre autistique.

Que la psychanalyse n’a eu de cesse de provoquer des dérives et des traitements douteux d’un point de vue éthique comme le packing désormais interdit.

Nous sommes un des derniers pays à être empreint de cette tradition désuète, et nous sommes l’un des pays occidentaux les moins capables d’un point de vue sociétal et social à comprendre la neuro-diversité et à intégrer cette notion socialement.

Nous, personnes autistes, n’avons besoin de personnes pour nous exprimer. Nous avons uniquement besoin que les sujets nous concernant ne soient pas parasités par des batailles idéologiques ou des ambitions personnelles.

Nous en venons maintenant à Monsieur Maleval qui a jugé utile de faire une réponse sur ce site à notre précédente tribune.

Cette réponse est révélatrice d’une rhétorique d’infantilisation et de culpabilisation visant à destituer un interlocuteur de s’exprimer. Il est donc utile de constater que notre libre arbitre est remis en question car il serait au détriment de la liberté d’expression d’une personne qui a tribune dans presse, qui possède un réseau et qui est pleinement intégré dans la société. Nous association de défense de l’expression des autistes empêcherions une personne référente (du pire), parfaitement intégrée, en capacité de diffuser son message, de s’exprimer. Il est classique d’assister en psychanalyse à une inversion des rôles, mais c’est présentement assez savoureux.

Notons que Monsieur Maleval se targue d’écouter les personnes autistes. C’est heureux. Nous n’osons imaginer si ce postulat n’était pas respecté.

La culpabilisation est rapide, Monsieur Maléval considérant que son argumentation est rationnelle et qu’il y a peu d’espoir que nous y accordions de l’attention il existe d’emblée une volonté de forcer la décision par le biais d’un procès d’intention et n’utilisant l’affirmation gratuite d’une argumentation qui serait jugée rationnelle d’emblée par son auteur. C’est un biais de jugement réputé, la tâche aveugle à l’égard des préjugés. Un parmi tant d’autres comme nous allons le voir.

A l’argument selon lequel Monsieur Maleval ne s’exprime qu’en son nom ou celui de son courant minoritaire :

Monsieur Maleval détermine sa première intention comme une volonté d’adhérer en tant que psychanalyste au sein de notre association. Pas en tant que psychanalyste minoritaire lacanien, pas en tant que personne mais en tant que fonction. C’est donc au psychanalyste que notre réponse a été exprimée. Il n’est donc pas honnête de se dédouaner de la mise en avant de cette fonction qui est de son unique fait. S’ajoute à cela que la réponse de Monsieur Maleval de fait au sein du site dirigé par le collectif de psychanalystes mentionné précédemment. Par conséquent notre réponse initiale était parfaitement adaptée.

Monsieur Maleval rappelle que la psychanalyse n’est pas homogène en termes d’hypothèses et de savoirs. C’est vrai. C’est potentiellement le problème. Lorsque la psychanalyse ne reconnaît pas la méthodologie scientifique pour déterminer la validité logique et épistémologique de ses théories, alors il est possible de dire tout… et n’importe quoi. Nous n’aimons pas le n’importe quoi. Et nous adhérons à la nécessité d’un esprit critique et d’une recherche de connaissance tangible, et vérifiée. Car une discipline se prétendant curative, demandant une adhésion sans remise en cause avec quelques personnalités indiscutables, possède une définition la rendant illégale dans bon nombre de pays. La psychanalyse est-elle à la France ce que la scientologie est aux Etats Unis ? La question peut se poser si aucune rigueur n’est exigée autre que la parole des praticiens. Il reste que cet appel au relativisme est contraire à une pratique rigoureuse du soin.

Monsieur Maleval fait alors une correction sur une image qui accompagnait son premier article. Cette image se prêtant à ce que chacun y met de ses projections. Donc une image dont l’interprétation est valide quoiqu’il arrive. Oui mais non. Monsieur Maléval nous précise ce qu’il faut comprendre. Nous notons pour la prochaine interrogation écrite. Nous avons un joli duo : appel au relativisme et argument d’autorité.

Monsieur Maleval nous explique ensuite comment nous fonctionnons en reprenant la théorie du pseudopode. On a de la chance. Nous qui souhaitons pouvoir exprimer comment nous fonctionnons, quelqu’un va nous le dire. A l’intuition… Comme cela. Appel donc à un certain paternalisme de la part d’un collectif qui veut donner la parole aux autistes (peut être que si nous levons le doigt…).

Monsieur Maleval expose donc des hypothèses dont celle de l’inconscient. Creuset commun de tous les courants psychanalytiques. Nous n’avions donc pas si tort. Et tout ceci n’est pas si minoritaire et personnel comme démarche. Soyez prévenus, Monsieur Maléval vous dit comment vous fonctionnez et au prix d’hypothèses indiscutables. Cela a le mérite d’être clair.

Le paragraphe d’après confirme nos doutes : la psychanalyse (qui n’est pas une, faut suivre) permettrait à chaque personne autiste de valoriser ses points forts etc. Pétition de principe non fondé sur du réel mais ce n’est pas grave c’est invérifiable alors cela peut être dit.

Monsieur Maleval stipule que l’autisme à juste titre n’est pas une maladie mais cela n’immunise pas contre l’angoisse. Un joli stratagème décrit par Schopenhauer décrit comme le fait de tirer de fausses conclusions d’un postulat rapide. Ce n’est parfois même pas lié. Vous souhaitez un raisonnement analogue : la terre est ronde mais cela n’empêche pas que la journée est finie. Comprenne qui pourra. Cela permet en réalité à Monsieur Maleval de placer un argument d’autorité « ce n’est pas l’autisme qui est traité par la cure psychanalytique mais le mal être qui est parfois associé. » Donc nous devons acter que l’autisme induit un problème qui vient donc de nous et que nous devons traiter. Le mal être ne provient pas du tout d’une société qui marginalise, d’une société exclusive, normative. Non le problème vient de nous.

Monsieur Maleval va ensuite faire son devoir de psychanalyste et justifier son propos par des études vantant l’efficacité de la psychanalyse en contredisant celle de 2012 de l’HAS. Pas de précision donnée sur les études en question. Si c’est celle de l’INSERM nous pouvons renvoyer à la critique de Franck Ramus paru le 19 février 2016 sur le site Pour la Science.

Cet éloge de l’efficacité cache en fait une ambition plus drôle, celle de dénoncer les TCC, la méthode ABA et les autres pratiques anglo saxonnes.

Pratiques que nous ne défendons pas malgré une efficacité supérieure à la psychanalyse. Cela permet à Monsieur Maleval de critiquer des lobbys anti psychanalytiques avec une ambition conspirationniste inédite. C’est vrai que la psychanalyse n’a jamais utilisé de lobby. Et qu’étant un des derniers pays en France à utiliser cette discipline, le problème vient nécessairement des autres…

Nous apportons une petite correction à la défense faite du packing par Monsieur Maleval qui utilise l’appel au public pour justifier de la positivité de cette pratique. Le packing était connu au XIXe siècle mais il a été introduit par la psychiatrie en France dans les années 60.

Après le conspirationnisme pointe l’accusation d’antisémitisme puisqu’une photo de Madame Roudinesco est accompagnée par notre réponse. Volonté de nous culpabiliser ? Stratagème de diversion ? Il n’empêche que Madame Roudinesco est l’une des plus ferventes et médiatiques défenseures de la psychanalyse. Rien de plus. Rien de moins. La diffamation n’est ceci dit, pas très loin.

Finissons par l’apologie de la liberté d’expression que Monsieur Maleval revendique et pense enfreinte car nous ne souhaitons pas diffuser sa réponse sur notre site.

Tout d’abord, notre site promeut nos actions associatives. Ce n’est pas un blog.

Ensuite Monsieur Maléval possède son site, son blog médiapart, et la liberté d’expression par définition est le droit à pouvoir s’exprimer. Pas le droit de voir son propos être diffusé et imposé à tous. Car si chacun peut s’exprimer, chacun a le droit d’écouter, ou non.

Mais que celui qui peut communiquer au sein de tous ces médias accuse les silencieux d’atteinte à la liberté d’expression est un aveu. Si entrisme par adhésion il n’y a pas pu y avoir alors il y a tentative d’entrisme idéologique. Cela n’aura pas lieu car si le bruit psychanalytique supplante pour l’instant nos calmes paroles, il ne couvrira pas notre sereine force et notre calme détermination.